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Quand vous dites à votre mère que vous n’avez pas eu le feedback de votre patron et que celle-ci répète d’un air accablé, « Elle n’a pas eu le feedback. Eh non, elle l’a pas eu, ils le lui ont pas donné », vous avez envie de rire très fort. Vous vous gargarisez de votre puissance de sachant qui sait que le feedback n’est ni un objet, ni une médaille, ni une prime mais juste une réponse, tout au plus quelques phrases, parfois un seul mot. Quand votre fils de 17 ans vous explique, un brin frimeur, qu’il a « une go » (une gonzesse) et que vous le regardez avec des yeux ahuris, c’est vous l’ignorant et lui le sachant. Et c’est lui qui ricane.
Les mots ont ceci de magique qu’ils vous rappellent à chaque instant qui détient le pouvoir, et par conséquent qui en est privé, et où vous vous trouvez sur le circuit de la vie. Un circuit qui a un point de départ (dessin d’un berceau) et une fin (dessin d’un cercueil).
Au début (berceau) on apprend de ses parents, ils nous transmettent les mots, nous les disent, nous les répètent et nous les font répéter, nous en expliquent le sens.
A la fin (cercueil) on apprend de ses enfants, et même de ses petits-enfants – combien de fois mes cousines ont-elles fait dire « snapchat » à ma grand-mère maternelle, qui a fini par conclure qu’elle dirait « snapcha » car on appelle un chat un « cha » et pas un « chaT » ? Combien de fois ai-je tenté d’expliquer à ma grand-mère paternelle qu’un « peti-shirt » n’existait pas, que c’était un « tee-shirt » ? Et voilà que je commence à m’inquiéter de ce que les générations futures me feront répéter dans 10, 15, 20 ou 30 ans…
Entre le début (berceau) et la fin (cercueil) on passe par plusieurs stades. Et qu’on essaie de parler comme ses aînés avant l’heure ou comme sa descendance après l’heure, on est à peu près sûr de passer pour un con.
Les mots octroient un certain pouvoir, ils en privent aussi. Mais ils font plus que cela. Ils disent l’amour, d’un fils qui admet son père dans son cercle en lui parlant dans sa propre langue, d’une mère qui fait l’effort d’adopter le langage de sa fille pour entrer dans son monde.
Elle n’avait pas eu le feedback mais depuis elle l’a eu – c’était positif, d’ailleurs. Si vous voulez me faire un feedback sur ce que vous venez de lire, c’est juste en dessous, dans la partie commentaire.
© Virginie Manchado, 2018
Encore une fois j’adore ! Tu as un vrai talent ! Il était temps de le montrer à tout le monde !!! Je l’avais pressenti dès le premier jour quand on avait du écrire 3-4 lignes au séminaire de Morzine et tu nous avais fait un super texte poetique sur la forêt et l’automne… Tu sais faire valser les mots et les sentiments. Je suis ta première Fan ! J’attends le livre !!!!!
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Merci Sandrine pour de tels encouragements, qui me vont droit au coeur.
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Mon fils de 17 ans, tout surpris que je sache ce qu’est un « blaze » et la « chnouf »…
Et encore plus surpris que son bellevillois d’arrière-grand père le savais déjà, il y a pas loin de 100 ans
Certains neologismes savent rester jeunes, c’est bath !
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Quand je disais que les générations futures allaient me faire répéter des tas de mots : « blaze, chnouf » ? Say it again !
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Le peti-shirt c’est génial !!! Je lance une pétition pour le faire entrer dans le Robert !
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La langue française est une langue vivante, nous la créons à chaque instant ! Ce sont les petites imperfections et inexactitudes qui rendent la vie plus charmante.
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C’est vrai que tu es sacrément douée. Moi aussi j’attends le roman.
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Merci beaucoup Frédéric, ça me fait très plaisir d’être ainsi soutenue.
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