Billets d'humeur, Société

Le nom, des gens, des choses

Temps de lecture : 4’54

Aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours aimé les prénoms, leur sonorité, leur(s) origine(s), qu’on se dispute parfois, leur histoire faite de popularité à des époques puis de déclin. Saviez-vous qu’en France, au 20e siècle, les trois prénoms féminins les plus donnés sont Marie, Jeanne et Françoise ? Les prénoms, c’est comme les jean’s patte d’eph. Quand j’étais enfant, « Jeanne » c’était pour les mémés. Depuis une vingtaine d’années, c’est super tendance. Les prénoms, vaste sujet sociologique. J’ai appris ça en écoutant un spécialiste du sujet à la radio, il y a un bail, « Paul » n’épousera jamais « Pamela », parce qu’au vu de leurs prénoms respectifs ils ne viennent pas du même milieu social, ne fréquenteront donc pas les mêmes cercles et auront peu de chance de se croiser. Paul, il est petit-bourgeois, grande école, vacances au Cap-Ferret. Tandis que Pamela est plus du genre à mater des séries américaines à la TV (d’ailleurs elle tient son prénom d’un des personnages fétiches de sa mère), CAP et vacances à Palavas-les-Flots, ou pas de vacances du tout. A chacun d’en tirer les conclusions qu’il voudra…

Pour ma part, j’ai constaté que les prénoms reflètent de grandes tendances, sociales, politiques, culturelles et régionales. Quand j’ai fait mes études à Aix-en-Provence, ma classe comptait trois Emmanuel.le, alors que je n’en avais jamais connu durant ma scolarité. C’est normal, c’est un prénom provençal et je n’ai pas grandi en Provence. Les prénoms glissent d’une classe sociale à l’autre progressivement : ils sont d’abord l’apanage de l’élite avant de devenir celui des classes populaires. C’est ce qui s’est passé avec Gérard puis Inès et Paul et se produit actuellement avec Gaspard, Joseph et Louise…

Le sens des prénoms m’interroge. Dans mon arbre généalogique, nous avons découvert une « Argile ». J’aime bien « Argile », mais comment est-ce devenu un prénom ? Pourquoi ne l’a-t-on pas appelée « Céramique » ou « Glaise » ? « Pierre » et « Olivier » sont bien des noms d’objets. Ça aurait pu être la même histoire avec « Chaise » et « Canapé » ou « Trousseau » et « Brindille », on dirait alors le plus naturellement du monde : « Oui, j’ai un frère et une sœur, Trousseau et Brindille. » Ça fait bizarre, hein ? C’est une question d’habitude, en fait. A l’université, j’ai connu une « Julie » qui avait un frère, « Julien ». Ma grand-mère avait dans sa classe un « Claude » dont le frère se prénommait « Jean-Claude ». Pourquoi pas ?

J’ai découvert au JT d’une grande chaîne de télévision numéro un sur la liste des numéros l’histoire d’un couple qui avait appelé sa fille « Périphérique » parce qu’elle était née sur le périphérique, et aussi celle de ce couple qui avait choisi « Ikéa » comme prénom pour son enfant (il ? ou elle ? va savoir) car ils avaient eu autant de mal à le concevoir qu’à monter leurs meubles Ikea. J’admets que mes quelques expériences dans ce lieu immonde de l’ameublement me rendent sensible à leur argumentation. Bousculons les us et coutumes, c’est ce que j’ai fait il y a quelques jours en suggérant à un ami futur papa d’une fillette « Clitorine ». Ce prénom est une légende urbaine. En revanche, « Merdive » et « Alcapone » seraient de vrais prénoms.

Les noms ne sont pas en reste. A l’école primaire les enfants se moquaient d’une camarade qu’ils surnommaient « Vitre teintée », je vous laisse deviner son nom de famille. Les voisins étaient les « Bâtard » – à quel moment de leur histoire familiale cela s’est-il produit ? J’ai connu une fan de Maryline Monroe qui s’appelait « Monnereau » – doit-on y voir un lien de cause à effet ? Un enseignant m’avait dit avoir eu une élève « Belle Dedos ». Ma fleuriste s’appelle « Cadeau », si c’est pas merveilleux ça ! Je le lui ai dit. Dans un camping, Madame et Monsieur « Magne » ont fait demander au micro de l’accueil leur fils… « Charles ». Récemment, j’ai rencontré un « Lechat », j’ai voulu l’épouser sur-le-champ, et pour le coup faire une entorse à ma règle de ne pas changer de nom. Mon nom, justement, « Manchado » qui signifie « tâché, sali », qui suit mon prénom synonyme de virginité. Combien de fois m’a-t-on surnommée « Manche à balai » ? Enfant, j’avais honte de mon nom, je voulais m’appeler « Dupont » ou « Dubois », parce que c’était français et que c’était simple et sans équivoque. Qui vit près du pont ou dans les bois. Aujourd’hui, je réalise que ça n’est pas moi du tout ! Un commerçant avait appelé mon père « Monsieur Mandocha ». Une cousine m’avait dit n’avoir jamais entendu de nom aussi bizarre que le mien. A l’opposé, pour une amie proche, mon nom évoque Don Quichotte ou quelque chevalier valeureux. Ça me va. Dans le même esprit certains ex-collègues s’amusaient à m’appeler « La Manchada », c’est vrai que je ne sors jamais sans mon glaive et mon épée. « Manchado » je suis née, « Manchado » je resterai. Mais si une guerre advenait et que mon nom était source de menace ? J’en changerais sans hésiter, je tiens plus à la vie qu’à une étiquette.

On m’a parlé d’une « Prêtre » qui avait épousé un « Moine », ils n’étaient pas croyants. Un « Dutaré » aurait planté une entreprise – ça ne s’invente pas. Gamine, j’ai lu un roman dans lequel des enfants s’amusaient à masquer la lettre « h » du nom « Chonnard » du boulanger du village. Ça les faisait marrer, évidemment. Monsieur « Oui », gynécologue de profession, celui-là même qui inspecte la partie de l’anatomie qui fait crier « Oui », c’est chaud et croustillant. Une « Bez » dont l’arrière-grand-père se nommait « Bès » mais un employé de mairie avait fait une erreur sur les registres municipaux. La rectifier était payant et trop onéreux pour ce monsieur qui a préféré s’accommoder de son nouveau patronyme. Mon aïeul s’appelait « de Serrurier » car il veillait sur les serrures des coffres du roi. L’un de ses descendants en a eu assez de se traîner une particule et l’a fait supprimer. Que dire de ce monsieur « Maestri » qui n’a rien d’un « Stromae »…?

Enfant, un ami confondait les deux dames de ménage de ses grands-parents : Colette et Odette, ce qui donnait « Codette ». Un Espagnol de ma connaissance qui désignait les ampoules pour s’éclairer par les « ampoulettes », j’adore. Un chien qui porte le doux nom de « Clebs » et son frère de « Chien », si, si, c’est vrai, In Real Life. Si j’ai un fils je le nommerai « Lefils ». A-t-on le droit de donner des prénoms aux animaux domestiques ? Vaut-il mieux les appeler par des noms de divinité ou de musicien célèbres ? A présent, quelques suggestions pour les propriétaires de chat, qui ne sont pas le fruit de mon imagination, mais celui de personnes chères : « Chapiteau, Châtaigne (ou « Chat teigne »), Chabeauté, Charatoustra (Ainsi parlait Charatoustra), Chadows, Chapati »…

Autour de moi il y a beaucoup de « Mumu, Chacha, Vivi, de Flo et Val ». Les surnoms, c’est pour dire l’affection que l’on se porte et aussi pour indiquer la barrière de l’intime qui se dresse entre deux individus. Je me permets d’appeler Philippe « Philou », pour l’autre Philippe, je m’en tiens à « Philippe ». Mais si un jour Philippe m’énerve ou dépasse les limites, je ne l’appellerai plus que « Philippe », exit « Philou ». Les surnoms, c’est aussi une histoire de langue. Ma copine colombienne prend toujours « Pepito » pour donner des exemples : « Tu fais une business et disons que Pepito veut t’acheter 3… paquets de Pepito… ! » Dans ces conditions, je les lui donne. Parfois on appelle tellement les gens par leur surnom qu’on en oublie même leur prénom. En ont-ils un seulement ? Des prénoms peuvent aussi servir de surnom. Une amie a baptisé « Nina » son amie Alexandra. Armand était surnommé « Maurice », raccourci en « Momo », rallongé en « Le Momo », détourné en « Le Maurizio ». C’est à y perdre son latin, mais c’est délicieux.

Plus j’y pense et plus je me dis que les prénoms et les noms racontent des histoires, des mœurs, des lieux, des croyances, des familles, des identités, des aspirations individuelles ou collectives, disent les rêves et les échecs, les filiations et les ruptures, témoignent du lien qui nous unit ou nous éloigne.

Quand je suis dans le métro je m’étonne d’entendre les noms de rue ou de quartier énoncé en toute simplicité. « Bonne Nouvelle ». Ça nous semble banal mais en réalité à un moment donné une bonne nouvelle a été annoncée à quelqu’un en cet endroit. Quelle était-elle ? La reine avait-elle accouché d’un fils ? La guerre était-elle gagnée ? Le boulanger avait-il honoré toutes ses commandes de croissants tout chauds ? C’est un Anglais qui, dans le métro toulousain, m’avait fait prendre conscience de l’étrangeté des noms de station : « Patte-d’Oie » en l’occurrence. Il m’avait demandé s’il s’agissait bien de la patte d’un canard. Oui, c’était bien ça, en toute simplicité. Moi-même j’ai participé à l’histoire de Paris pas plus tard que l’an passé en donnant ma voix à « Lucie-Aubrac » comme nom d’une future station de métro parisienne. J’en suis fière.

Faut-il voir un sens à tous les noms qui façonnent notre quotidien ? Par exemple, le docteur « Bonnemort » était-il prédestiné à être médecin ? N’aurait-il pas été meilleur croque-mort ? Si oui, je me demande comment interpréter le fait que mes camarades de formation et moi-même avons logé à l’hôtel Charms de Pékin, puis avons volé avec Aer Lingus jusqu’à San Francisco avant de nous installer à l’hôtel G… La suite de cette histoire, pour le moins lubrique, en janvier, lors de notre prochain et dernier voyage. Ce sera à Londres.

© Virginie Manchado, 2018

8 réflexions au sujet de “Le nom, des gens, des choses”

  1. Sur un de mes chantiers, le hasard à voulu que je coordonne des entreprises portant le nom connoté de leurs fondateurs.
    Un des compte-rendu de réunion de chantier stipulait ainsi : « LEVEQUE devra travailler en concertation avec LEPRETRE pour ne pas retarder LEMOINE »

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      1. Oh oui! Au Mexique, je n entend q ça
        Tt une histoire à raconter sur les surnoms/ “apodos” et diminutifs au Mexique
        Francisco: Paco
        Ignacio: Nacho
        Etc…
        Et moi c est Barbie jeje
        Et tu as tellement raison lorsq tu dis qu’à la fin, on ne sait même plus quel est le prénom

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  2. Ma fille s’appelle Florentine. Il y en a très peu. C’est le prénom de mon aïeule maternelle. Ce prénom a connu beaucoup de succès dans les années 10 surprise en 1014. Ma florentine à moi déteste son prénom. Elle sait déjà qu’elle prénommera son enfant Camille alors qu’elle ne connaît pas encore le père. (Heureusement elle a 17 ans).
    Quant à moi je suis Mu, souvent Mumu, & pour un cercle plus restreint La Much.
    Merci pour cette jolie lecture Vivi!

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    1. J’ai connu une Florentine il y a longtemps, c’est doux et plein d’énergie à la fois, ça me fait penser à l’Italie…
      Merci, Mu-Mumu-La Much pour ta lecture et cet aperçu de ton histoire familiale. J’espère que ta Florentine parviendra à ses fins, avec celui qu’on ne connaît pas encore (à moins qu’elle ne le connaisse déjà sans le savoir…).

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