Littérature étrangère, Livres

« 7 années de bonheur » de Etgar Keret

Temps de lecture : 2’44

 Ce livre, je n’avais pas choisi de le lire. C’est une amie qui me l’a offert pour mon dernier anniversaire en biffant le titre de la couverture d’un « minimum ». Elle me souhaitait « sept années de bonheur minimum » façon Etgar Keret. C’est une façon qui me plaît bien. S’amuser des petits riens de la vie, se mettre dans des situations improbables, marier le tragique au comique, écouter la résonance de la grande Histoire dans sa propre histoire.

Année après année

Tout naturellement nous débutons par la première année pour finir par la septième. Pendant ce laps de temps nous faisons connaissance avec Etgar Keret, son épouse, leur fils Lev – eux-mêmes font connaissance avec lui puisque l’opuscule s’ouvre sur sa naissance, un soir d’attentat, comme quoi il y en a qui ont vraiment le chic pour semer la zizanie d’entrée de jeu –, ses parents vieillissants, sa sœur : la beauté incandescente devenue juive orthodoxe au grand dam de tous les copains du lycée qui rêvaient de la peloter, le grand frère à qui l’on voue une idolâtrie sans borne et toute une tripotée d’amis plus ou moins mabouls, de taxis, d’hôtesses de l’air et autres oiseaux de passage.

Que se passe-t-il durant ces sept années ?

On prend des taxis, parlemente avec ses parents, parcourt la planète, perd ses bagages, les retrouve, pleure, appelle un plombier, on se fait plumer par son fils de 5 ans qui détient 90 % du patrimoine immobilier du Monopoly et qui n’hésite pas à pratiquer des taux frôlant l’indécence. On se revoit en train d’apprendre à lire selon la méthode dite du chewing-gum : tu lis correctement un mot, tu as droit à un chewing-gum, tu ne lis pas correctement, on te colle le chewing-gum dans les cheveux, et plus tard comment on a trouvé sa vocation d’écrivain grâce à une crotte de chien fraîche et fumante. On développe le don spécial de détecter les gens qui ont un besoin pressant. On tente d’apaiser ses amis :

 — Une bombe ! Tu te rends compte de la catastrophe pour moi s’il la balance sur Tel-Aviv ? J’ai quatorze apparts en location, moi, à Tel-Aviv ! T’as déjà vu un mutant irradié qui continue de payer son loyer ponctuellement ?

— Oh, ressaisis-toi, Uzi. Tu seras pas le seul à souffrir si on nous balance une bombe. Nous, par exemple, on a un enfant ici et…

— Les enfants ne payent pas de loyer…

On se camoufle quand retentit la sirène qui annonce la prochaine explosion. On se rend à Varsovie, on marche sur les pas de sa mère, là où elle avait vu tomber tour à tour les siens. On boit un café avec un architecte polonais qui a le projet ambitieux de construire une maison aux proportions des nouvelles de l’auteur. On se moque des gens qui se mettent dans des situations embarrassantes et puis on convainc son fils d’aller en vacances à Paris en vantant les joies d’Euro Disney. Pire encore, on demande à ce même fils ce qu’il voudrait faire de spécial pour son anniversaire et on s’entend dire « J’ai envie que toi, tu fasses quelque chose de particulier »… 

Lire du Keret

On rit franchement. On a des pincements au cœur. On se dit que vivre avec ce gus au quotidien doit être fatigant, désopilant et réjouissant à la fois. On savoure encore plus le simple fait de vivre.

Le point commun entre Etgar Keret et moi

Comment vivre sans les détails ? Sans ces petites choses en apparence insignifiantes qui confèrent à la vie tout son charme, sa fragilité, son absurdité et sa saveur à la fois ? C’est ça, qu’Etgar Keret et moi partageons.

7 années de bonheur, de Etgar Keret, traduit de l’anglais (Israël) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Editions de l’Olivier (2014) et Points (2015).

© Virginie Manchado, 2019

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