Littérature française, Livres

« Propriété privée » de Julia Deck

Temps de lecture : 2’34

Accéder à la propriété quand on est parisiens, c’est un rêve que beaucoup caressent du bout des doigts sans jamais s’en saisir à pleines mains, à moins de renoncer à Paris intramuros et de s’établir en banlieue, à quelques stations de RER. C’est le choix qu’on fait les Caradec.

Une aubaine

L’aubaine était trop belle pour la louper. A quelques encablures de Paris, un écoquartier bâti tout de neuf. Dans une rue tranquille, des maisons chauffées naturellement, avec jardin privé, place de parking, horizon dégagé. Le prix du mètre carré est plus qu’abordable. Confort, espace et calme réunis. Le scénario aurait été parfait s’il n’y avait eu le mur mitoyen, et des voisins derrière ce mur mitoyen.

Cultiver des soucis

Les Caradec ont innocememnt quitté Paris et leurs habitudes pour la banlieue. En s’installant dans cet écoquartier, ils pensaient faire une bonne affaire, une bonne action et tisser des liens avec des voisins sympathiques, ni plus ni moins. Le jour du déménagement, ils ont tout emporté avec eux ; leurs meubles, leur vaisselle, leurs livres et même jusqu’à leurs soucis, que madame caradec, qui a la main verte, s’évertue à faire fleurir d’une année sur l’autre. C’est que « les soucis sont résistants, ils se relèvent du pire comme du meilleur ». En est-il de même pour les humains ? C’est une question à laquelle nous laisserons le lecteur répondre. Mais voilà que les Lecoq s’installent juste à côté. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ces gens sont bruyants, envahissants, grossiers et pénibles.

Engrenage mortel

L’humanité étant ce qu’elle est, à la ville comme à la campagne – ou plutôt, à la ville et encore plus à la campagne –, le cadre de vie qui se voulait idéal se transforme peu à peu en cauchemar. On discute entre voisins, c’est convivial. On critique beaucoup aussi. On observe, on s’observe et on se sent observé. On ne peut jamais vraiment avoir la paix. Ce satané chauffage qui devait fonctionner à l’énergie solaire n’est pas toujours pas activé, alors on a froid. Quand on espère jouir du silence de la campagne pour dormir, les voisins font la fête. Et quand on se dispute avec son conjoint, à coup sûr on a oublié de fermer ses fenêtres, et on en fait profiter toute la collectivité. Cette collectivité qui laisse perplexe et qui incite monsieur Caradec à lire les essais d’anthropologues spécialistes du sujet :

Tu t’intéressais à la formation des communautés, à leurs mœurs, à la manière dont elles se soudent et se perpétuent, à leur destruction inévitable.

Les voisins, c’est bien tant que chacun respecte ses limites, mais dès qu’elles sont franchies, ne serait-ce que d’un millimètre, ça pousse au meurtre. Et le premier qu’on pourrait bien zigouiller, ça pourrait bien être ce rouquin de gros minou qui vient fourrer son nez un peu partout.

La morale de tout ça, s’il y en a, c’est que ma foi, on n’est pas si mal que ça dans son petit appartement en location.

Lire du Deck

C’est dans la lignée des éditions de Minuit. Ça pique, ça fait sourire, ça rebondit, c’est tendu, ça nous surprend là où on ne s’y attendait pas. Ça dit beaucoup de choses, de nous, de vous, de moi.

Le point commun entre madame Caradec et moi

Comme madame Caradec, j’aime le calme, la campagne et ses perspectives dégagées, mais vient toujours le moment où j’ai besoin de voir la ville, ses tours, ses rues, ses commerces, ses commerçants et tous ses anonymes.

Propriété privée, de Julia Deck, éditions de Minuit, 2019.

© Virginie Manchado, 2019

2 réflexions au sujet de “« Propriété privée » de Julia Deck”

  1. Deck, c’est super. Elle écrit bien, c’est souvent drôle – voire acide – et subtil. Ses trois premiers romans sont très bien aussi. Bref, j’adore et je recommande. Sans dec(k) !

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