Littérature étrangère, Livres

« Girl » de Edna O’Brien

 Temps de lecture : 2’32

J’étais une fille autrefois, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier.

Dès la première phrase nous sommes aspirés par une force invisible qui va nous faire vivre d’un seul souffle la trajectoire de cette jeune fille.

Le rapt

Elles sont à l’école quand ils entrent, pour les protéger, disenils. Elles leur font confiance jusqu’à ce qu’ils scandent le nom de leur Dieu. Depuis camion qui les emmène elles ne savent où, elles jettent des petits objets comme le Petit Poucet, pour qu’on les retrouve. Une d’entre elles, courageuse ou réaliste, saute dans un fossé.

Dans le camp, tout ce qu’on imagine se produit : conversion forcée, insalubrité, malnutrition, esclavage, viols à répétition, mariages forcés, vente sur des plaques tournantes… Le temps défile, même si la jeune fille en a perdu la notion. Une des premières choses qu’elle demandera une fois de retour à la « vie normale » sera son âge. Pour le moment, elle se demande si elle saura « de nouveau un jour ce qu’est un foyer ».

La forêt

Le bombardement s’est produit. Il a semé le désordre dans le camp. Des cadavres jonchent le sol. Certaines filles sont estropiées. D’autres veulent rester. Et il y a la jeune fille, son bébé et son amie. Elles fuient. Des jours durant elles s’enfoncent dans la forêt, se nourrissant de racines, d’un fruit, buvant à toutes les sources et retrouvant le plaisir de faire une toilette complète dans un ruisseau. Elles évitent les bêtes sauvages. Le moindre rocher creux devient un nid douillet. Elles tombent, glissent, se relèvent. Elles sont perdues, elles ont peur. Il y a de quoi devenir folles. Il y a de quoi vouloir en finir avec la vie. Mais elles marchent. Le malheur rôde, jusqu’à ce que la jeune fille voie une main maternelle se tendre vers elle comme elle n’en avait pas vu depuis longtemps.

L’après

Là où la jeune fille croyait retrouvait douceur et amour, elle ne trouve que dévastation et rejet.

J’ai été blessée qu’on m’appelle femme du bush plutôt que par mon nom.

Plus douloureux encore que le fait d’avoir été arrachée à sa vie, d’avoir été réduite en esclavage, elle est rejetée par les siens. Elle est accusée d’impureté. Mais la vie n’a pas dit son dernier mot, une lueur d’espoir poind.

Lire du O’Brien

Comme à chaque fois avec Edna O’Brien, c’est spectaculaire. Spectaculaire car elle s’empare de sujets déchirants, elle plonge dans les bassesses de l’humanité, dont les femmes sont toujours les premières victimes, mais les décrit avec tant de poésie et de délicatesse qu’on ne peut que se délecter de lire ses romans. C’est à en perdre foi en l’humanité et pourtant, je garde un souvenir ému de ma lecture de son roman « Les Petites Chaises rouges » : en Irlande, un bourreau du conflit yougoslave fait chavirer d’une femme mariée. Une variation de l’exclusion d’une communauté, thème cher à Edna O’Brien, qui en a fait les frais dans sa jeunesse pour « délit de liberté ».

Le point commun entre la narratrice et moi

Je me sens toute petite vis-à-vis d’elle. Tout ce qu’elle a vécu est bien trop grand et trop puissant pour que j’en tire une comparaison. Pourtant, comme elle, une pulsation qui vient du tréfonds de mes entrailles m’oblige à marcher droit devant moi, malgré les tourments, malgré l’adversité, malgré les difficultés. 

Girl, de Edna O’Brien, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, Sabine Wespieser, 2019.

© Virginie Manchado, 2019

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3 réflexions au sujet de “« Girl » de Edna O’Brien”

  1. Je n’avais jamais lu Edna O’Brien. Eh bien, grâce aux Virginales Éditions, j’ai pu combler cette lacune. “Girl” est un roman puissant, dur, qui prend aux tripes et dont on ne ressort pas indemne. Indispensable et bouleversant. Merci pour cette magnifique découverte.

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