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Tout a commencé au cinéma, après que nous sommes allés voir Deux Moi, le dernier film de Klapisch. On s’était dit qu’on retrouvait les mêmes éléments que dans Chacun cherche son chat, et qu’il y avait même la vieille actrice au caractère bien trempé qui nous avait fait marrer. D’elle je ne me souvenais plus trop, ni Chacun cherche son chat d’ailleurs, si ce n’est une scène où l’actrice principale est à la plage et va se baigner pendant que son chat se fait la malle ; je voulais revoir Chacun cherche son chat.
Blottis sous une couette nous appuyons sur On et Chacun cherche son chat commence. Les scènes se succèdent – oh, mon quartier tel que je ne l’ai pas connu, quand il était encore populaire, avant qu’il ne se « maraiïse ». « Faut pas aller boire votre café à Pause-Café, ça coûte 10 francs là-bas, c’est trop cher ! », s’écrie Madame Renée. On marchait et parlait tellement plus lentement à l’époque – 1996. On n’avait pas de portable et on fumait comme des pompiers dans les troquets. La première fois qu’apparaît Madame Renée on voit écrit sur la porte de son appartement « Fuck la vioque ! » Chez elle c’est rempli de chats, de photos et de cartes postales de mauvais goût. Elle a la gouaille d’une Parisienne. Minuscule, les jambes terriblement arquées, les racines apparentes sous une note de roux délavé, elle ne tient pas le premier rôle, mais c’est elle la vedette, incontestablement.
Au fur et à mesure de notre séance cinéma à domicile, je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’est devenue l’actrice qui tient le rôle principal de Chacun cherche son chat qu’on n’a plus jamais revu par la suite et dont on n’a même pas retenu le nom. Ça doit être bizarre d’être référencée ad vitam aeternam comme « la fille qui a joué dans Chacun cherche son chat », un peu comme Robert Badinter avec la peine de mort ou Patrick Hernandez avec Born to be alive. Et puis il y a ces « Raymond Poulidor» du cinéma – c’est le sort de Zinedine Soualem qui joue son propre rôle dans la série 10 %, il court désespérément après un premier rôle. Pendant ce temps d’autres acteurs ont décollé : Romain Duris par exemple, qui ne fait qu’apparaître dans Chacun cherche son chat.
Ma curiosité est piquée au vif et aussitôt après la fin du générique je me précipite sur Wikipedia pour éplucher le casting du film. Garance Clavel, c’est le nom de l’actrice principale. Renée Le Calm joue Madame Renée, je clique sur sa fiche, et m’étonne d’apprendre que cette dame est née dans le 14e arrondissement de Paris. Elle a grandi en Bretagne puis est revenue vivre à la capitale, dans le quartier de la Bastille où elle a vécu quatre-vingts ans. Elle a exercé les professions d’ouvrière en usine, de serveuse, de concierge et de dame-pipi, avant d’embrasser une carrière d’actrice à l’âge de 74 ans – oui, soixante-quatorze ans ! C’est Klapisch qui l’a découverte et c’est avec Chacun cherche son chat que sa carrière a explosé. Elle a tourné dans les films de Poiré, Vermillard… à raison d’un film par an entre 1992 et 1999. Le petit écran l’a consacrée dans différentes séries policières. Pour boucler la boucle, elle a joué son dernier rôle dans Deux Moi, avant de s’éteindre au noble âge de 100 ans en juin 2019.
Par quel curieux coup du hasard Renée Le Calm est-elle devenue actrice à un âge si avancé, alors que les actrices ont du mal à « durer » du fait du jeunisme qui sévit dans notre société ? Où Klapisch l’avait-il rencontrée ? Avait-elle fait un book et passé des castings ? Prenait-elle son pied à jouer dans des films ? Peut-être n’en avait-elle plus rien à fiche, d’où sa splendeur à l’écran…
Savoir que la vie peut vous réserver de si belles surprises m’a mis du baume au cœur ! La magie infuse à chaque instant. Tout est possible, absolument tout.
© Virginie Manchado, 2019