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Il y a quatre ans de cela, j’ai franchi le pas : prendre des cours de chant. Je dis « franchir le pas » parce qu’il s’agissait bien d’oser. Dès mon enfance j’avais intégré que je ne savais pas chanter. Donc je me la bouclais. Mais de temps en temps, je m’amusais à pousser la chansonnette et me traversait alors la sensation de ne pas chanter si mal que ça, mais bon je n’étais vraiment pas sûre de mon coup. De plus, c’était très aléatoire, un coup ça sortait bien, l’autre affreusement mal, tant et si bien que la plupart du temps je ne chantais pas, pas même sous la douche (c’est bizarre, non ? cette idée de chanter sous la douche, pourquoi pas ailleurs ?). Et lorsqu’on me demandait si je chantais, je m’écriais « Ah non, non, non, je ne sais pas du tout chanter, mais alors pas du tout. »
Il faut dire que cette affaire de chant relevait également de la mythologie familiale, c’en était même devenu un running gag, aux repas de famille, on riait tous volontiers de l’affreuse cacophonie que ma grand-mère, mon oncle, son fils et moi-même étions capables de produire alors, qu’a contrario, mon grand-père, ma tante et ma mère, de son vivant, étaient des rossignols. Rossignol de mes amours, chanson que mon grand-père fredonnait régulièrement à l’oreille de mamie. Mais « rien n’est acquis à l’homme, ni ses forces, ni ses faiblesses », chantait le poète, et voilà que j’ai changé de camp.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, j’ai l’honneur de vous annoncer que je suis dorénavant, moi aussi, un rossignol !
Il faut rester réaliste, je suis un rossignol en devenir. Cela fait quatre ans que je prends des cours de chant individuels, avec quelques mois de chorale au passage. D’abord, avec une professeur rencontrée dans la rue, une ancienne choriste de l’Opéra de Paris, qui m’a inspirée la plus grande confiance et que je remercie encore une fois pour tout ce qu’elle m’a appris, et surtout pour m’avoir aidée à me lancer tel un rossignol oisillon qui déploierait ses ailes pour la première fois de sa vie et s’élancerait loin du nid familial, voletant cahin-caha, manquant de tomber, se rattrapant à une branche, un feuillage puis s’émancipant définitivement. Je me souviens d’une leçon où ma professeur avait entrepris de me faire étudier Dis, quand reviendras-tu ? de Barbara. À la fin de la séance, je lui avais demandé si la corde était fournie avec la chanson. Comme à mon habitude, il y a un moment où j’ai décidé d’y aller franco, je chante ou je chante pas. Et voilà que l’été 2018, je m’inscris à un stage de chant intensif d’une semaine. Personne ne peut imaginer mon état le vendredi soir, déjà, le mercredi soir, c’était pas mal, je crois même être partie en pleurant de rage, d’épuisement, de désespoir. Le programme était le suivant, une demi-heure (qui se transformait vite en 50 minutes) l’après-midi en solo. À ce stade, j’étais déjà rincée. Heureusement, je n’avais qu’à traverser la rue pour rentrer chez moi et me reposer une paire d’heures avant de recommencer, en groupe cette fois. Après deux heures de chant, nous finissions par des dictées rythmiques, autant vous dire que j’étais achevée. La contrepartie, c’est que ce stage m’a fait faire des progrès extraordinaires, et m’a aussi procuré la joie de chanter Luci Care de Mozart.
Puis est venue l’heure de changer d’enseignante. Depuis une petite année, je travaille avec une chanteuse de variété d’origine portugaise qui a une patate d’enfer. La classe commence toujours par un peu d’exercices physiques puis les vocalises, ce que je préfère, on pourrait m’en faire faire des heures entières et enfin, la chanson, ma chanson. Puisque nous nous concentrons sur une chanson à la fois, que nous décortiquons. Après La Polka j’attaque Mon héritage (c’est de circonstance me direz-vous, cf. post du 30 juillet 2019). Petit à petit le répertoire du rossignol s’étoffe.
Cette année, il se produit en moi un phénomène que je ne m’explique pas : je pratique tous les jours. Oui, tous les jours du lundi au dimanche depuis le 1er septembre, je fais mes vocalises et travaille ma chanson. Forcément, je progresse. Mais plus important que cela, je découvre des zones de mon corps, des sensations dans ma cage thoracique, ma gorge, ma tête. J’ai des mini-orgasmes quand je chante parfaitement juste. La première fois où j’ai senti ce frisson quasi mystique de l’alignement parfait de mon corps et de mon esprit au moment où je produisais ces sons en harmonie avec le piano reste un souvenir unique. Bien sûr, les couacs sont toujours nombreux, les mauvais départs, les contretemps, je râle après moi, n’anticipe pas assez, pense au rythme et en oublie les paroles… L’angoisse en allant au cours me fait me demander pourquoi je fais toujours des trucs qui demandent des efforts, mais sitôt le cours fini elle est remplacée par un « Ah, que ça fait du bien de chanter ! »
Le rossignol en devenir que je suis est tout à la joie d’entendre des sons nouveaux, de capter des nuances, de repérer qui chante juste et qui chante faux (et même chez les chanteurs professionnels ! Y a pas que Renaud qui chante mal !), de s’émerveiller de toutes les parties de son corps qu’il commence à habiter alors qu’il y a encore si peu de temps il ne soupçonnait même pas leur existence.
Tout cela me fait réfléchir à ce qu’aurait été ma vie si j’avais commencé mon exploration « chantesque » faisant fi des mauvais parleurs et des calomniateurs plus tôt. Comment pourrait être ma vie si j’explorais dès à présent des territoires que je m’interdis ? C’est sur cette réflexion philosophique que mes posts de l’année 2019 s’achèvent.
Je vous remercie pour votre lecture, votre fidélité
et vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année.
Rendez-vous en 2020 !
© Virginie Manchado, 2019
Bienvenue au club !
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