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Chères toutes, chers tous,
Cela devrait être la dernière fois que je vous écris – c’est passé tellement vite, non ? –mais il y aura un billet la semaine prochaine, car il nous faudra bien analyser l’après-confinement. En attendant, allons voir ce qui « est arrivé près de chez nous » depuis le 3 mai dernier.
Je vous souhaite une bonne lecture et de finir en beauté le confinement !
Virginie
Dimanche 3 mai (suite)
Mon programmateur de cinéma attitré me prescrit un film rigolo matin, midi et soir. Je commence immédiatement avec Poupoupidou.
Lundi 4 mai
Dans un mail que je reçois, le mot « réclame » est employé. « Réclame », rien que de le dire c’est voyager dans le temps à la façon de Retour vers le futur.
Mardi 5 mai
Si on déteste quelqu’un, parce qu’il nous a fait une crasse et qu’on veut se venger, par exemple, est-ce qu’on a le droit de s’approcher très près de lui, de frotter ses mains partout sur son visage, d’enlever son masque et de tousser en direction de son visage ?
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Depuis dimanche, plein de messages très gentils de mes amis.
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J’arrange un petit lit pour le chat. Sur deux vieux oreillers je dispose un tissu choisi exprès et deux peluches (pour que l’animal se sente moins seul). Avant de s’installer, le chat prend le soin de griffer et de repousser le tissu et d’envoyer valdinguer les peluches avant de se rouler en boule, de se lécher entre les orteils et de piquer son roupillon.
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Hier, j’annule un billet de train et la SNCF me promet qu’elle va me rembourser, aujourd’hui je reçois un avoir à utiliser dans les six prochains mois.
Mercredi 6 mai
Pépiement des oiseaux : à 5 heures du matin depuis le fond de mon lit, à midi et demi sur la passerelle qui surplombe un jardin au repos que je contemple.
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Je passe une première fois : un monsieur en bermuda bleu marine, chemise blanche et chaussures Bateau aux pieds, monte et descend les escaliers à la chaîne. Je repasse une seconde fois une demi-heure plus tard, deux auréoles de transpiration sont apparues sous ses seins, je poursuis mon chemin le laissant à son escalier.
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Le nez collé à la baie vitrée, j’admire « ma piscine ». Le petit moteur crache des bulles qui font gloup gloup gloup à la surface de l’eau, si plane, si belle. Six lignes absolument vides qui n’attendent que les nageurs. En juin peut-être ?
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Voitures sur les avenues, pétarades de moteurs, accélération, changement de vitesse, perceuses et autres engins de construction… ici, c’est Paris !
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Alors que j’ai les doigts pleins de glue après avoir recollé le joli vase que le minou avait cassé, la tentation de lui en badigeonner les pattounes pendant son sommeil est grande… mais brave que je suis, je résiste.
Jeudi 7 mai
Pendant mon jogging matinal, itinéraire tracé par le soleil, je croise deux enfants qui s’amusent à faire des dérapages à trottinette qui laissent des traces au sol, et c’est ça qui les amuse le plus.
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À mon bureau, fenêtres grandes ouvertes, j’entends les talons d’une dame qui marche dans la rue, moi aussi je veux faire clac clac clac de nouveau ; j’entends aussi la voisine de l’autre côté de la rue qui téléphone tout en portant sa fille, elle parle de mètres carrés et d’un certain Kamel… Agent immobilier ? Architecte ?
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Quelque fois je suis tellement peu concentrée. Par exemple, j’attrape mon téléphone pour regarder l’heure qu’il est, mais une fois que je l’ai reposé je ne sais toujours pas l’heure qu’il est, alors je le reprends en main. Parfois trois fois de suite comme ça.
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Un groupe fouille les poubelles devant le supermarché, deux hommes commencent à se disputer leur prise. Ils se poursuivent, l’un se réfugie dans une boucherie. À côté, des parents boivent des pressions que le bistrot qui a rouvert sert à emporter pendant que leurs enfants jouent à la marelle.
Vendredi 8 mai
Il paraît que certains matins je suis comme une tornade dès que j’ai ouvert un œil mais aujourd’hui je suis franchement ensuquée.
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C’est vendredi et c’est férié, personne n’a le droit de partir en week-end et l’année prochaine, tous ces jours fériés tomberont un samedi.
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Ma tante me téléphone. Mon cousin est toujours en vacances en Asie (il est parti la veille du début du confinement). Son vol retour a été annulé. Il a rencontré des Marseillais qui tiennent un bar sur une plage, il boit des cocktails à l’œil, il a sympathisé avec une fille. Il envoie des photos, c’est très beau, je cite : « C’est vrai que les paysages sont de toute beauté. » Par contre, il a dû renoncer à l’humanitaire qu’il avait prévu de faire, vu le contexte, ce n’est pas possible.
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J’écoute en boucle pendant plus d’une demi-heure « Comment est ta peine ? », la dernière chanson de Benjamin Biolay, tout en dessinant. Par moments je me lève pour danser un peu puis je me rassois, reprends mon crayon et gigote sur ma chaise. Cette chanson me donne très envie de fumer une cigarette, mais je m’abstiens de courir au drugstore.

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Mon chéri a les cheveux tellement longs que s’il les plaque, j’ai l’impression qu’il va me violer, me découper en morceaux et me mettre au congélateur. S’il leur donne un mouvement de côté au lieu de les plaquer, prend un air faussement blasé et circonspect, lève un sourcil à chaque fois que je lui parle, je me sens vraiment comme une fille pas dégrossie arrivée de province par le train de nuit en train de pitcher devant un producteur de télé qui a garé sa trottinette dans le hall de l’immeuble. Avec un serre-tête il aurait l’air d’un surfeur de Lacanau.
Samedi 9 mai
Nouvelle ordonnance de mon dentiste envoyée par SMS, j’attaque ma troisième semaine d’antibiotiques. Et c’est une fille qui ne prend jamais de médicaments qui vous parle ! (Le trou de la Sécu, ce n’était pas moi.)
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Lundi : c’est la reprise, même pour celles qui tapinent.
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Plein de souvenirs de mon enfance m’assaillent : en 6e, quelqu’un, un garçon certainement, avait écrit sur le tableau de la salle du prof de français « Madame C. s’épile les poils du cul avec un sécateur », madame C. était l’épouse du prof de français. Un autre jour, toujours en 6e et avec le même professeur, un garçon dont la mère venait de mourir d’un cancer s’était mis à pleurer, il avait crié : « Je veux ma mère ! » et puis il avait vomi sur les pieds du professeur qui était venu le consoler. En 4 e, j’étais allée voir une comédie américaine au cinéma où on voyait des spermatozoïdes qui remontaient jusqu’à l’ovule, ils parlaient : « C’est moi qui y vais ! » « Non, c’est moi ! » Dans la salle, il y avait le prof de maths, j’étais à la fois honteuse et tout excitée qu’il voie en même temps que moi un film qui montrait des spermatozoïdes. En 3 e, une copine s’était fait tirer l’oreille par le CPE parce qu’elle et son chéri s’étaient embrassés dans le couloir du collège, elle avait eu très peur qu’il ne lui ait décollé l’oreille qu’une opération lui avait recollée quand elle était enfant. À l’âge de trois ans, un garçon de mon âge s’était retrouvé coincé avec le cadavre de son père dans leur voiture accidentée à attendre que les secours viennent le sortir de là. Quand j’étais en CM1, une mère d’élève avait été renversée par un camion en sortant de sa voiture qu’elle venait de garer devant l’école pour aller chercher ses enfants ; certains avaient dit qu’elle avait été décapitée. Plus tard cette année-là mon institutrice (en fait c’était une remplaçante) était entrée dans la classe après la récréation du matin et avait dit : « Les enfants, il est arrivé un grand malheur, Madame M. est morte. » Madame M. avait été mon institutrice en CP, c’est elle qui m’avait appris à lire et à écrire. Un jour, je lui avais marché sur les pieds sans faire exprès. Ce matin-là, son fils qui venait d’avoir le permis avait pris le volant, il était arrivé un peu trop vite dans un virage. Personne ne portait de ceinture de sécurité en ce temps-là, alors elle n’en portait pas. Régulièrement je pense à elle, c’est par à-coups, pendant des mois je n’y pense pas et puis j’y pense en continu pendant plusieurs jours.
Dimanche 10 mai
Le confinement touche à sa fin (snif snif). Plusieurs questions s’imposent : Que vont faire les gens des 36 kilos de nouilles qui leur restent sur les bras ? Les néo-joggeurs continueront-ils de courir ? Est-ce que demain à 20 heures les gens continueront d’applaudir à leur fenêtre ? J’espère que oui, parce que quand on se promène à cette heure-ci on a l’impression d’être une star de cinéma en train de monter les marches du Palais du festival et c’est franchement sympa.
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Nous aurons mangé six saucissons pendant le confinement.
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Qu’est-ce que j’avais prédit ? Qu’il pleuvrait une fois que nous serions déconfinés. C’est ce qu’annonce la météo de la semaine prochaine, non seulement il pleuvra mais il fera froid.
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Bilan du confinement : naissance de deux mots, déconfiner et déconfinement.
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Les livres que j’ai lus durant le confinement :
Lus en entier : Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Nos espérances de Anna Hope (j’ai mis le livre dans la pile « à vendre »), Seins, en quête d’une libération de Camille Froidevaux-Metterie, L’Immoraliste de Gide (j’ai sauté quelques pages).
Ecoutés en podcast en entier : Une tranche de bifteck de Jack London, Debout les morts ! de Fred Vargas, Les Années de Annie Ernaux.
Picorés ici et là ou non achevés : Vipère au poing de Hervé Bazin (le tout début pour me remémorer), La Dame au camélia de Alexandre Dumas fils (idem), La préparation au roman de Roland Barthes (quelques pages picorées ici et là), L’Appel de la forêt de Jack London, La Peste de Albert Camus, Ordesa de Manuel Vilesa.
Commencé mais pas encore terminé : L’Autre Moitié du soleil de Ngozi Adichie Chimamanda (splendide).
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Je me projette dans le futur :


© Virginie Manchado, 2020
(Tous mes dessins sont inspirés de ceux de Soledad Bravi.)
Félicitations pour ce “journal du confinement”, ce n’était pas facile mais tu t’en es très bien sortie et ç’a été un vrai plaisir de te lire chaque dimanche. À bientôt. Bises
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Merci, avec plaisir.
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Je suis toujours fan de tout ce que tu écris surtout ta description du chėri et j adore les dessins. A bientôt
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MERCI. A bientôt.
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!!!
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