Billets d'humeur, Société

Journal du confinement relâché – Semaine 7 – 29 novembre 2020

Temps de lecture : 6’46

Dimanche 22 novembre

J’ai souvent constaté que dans les immeubles on entend très fort le jet de pipi des voisins.

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Le dimanche, je ne me coiffe pas.

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Vers 11 h 22 je n’y tiens plus, ça me brûle, j’appelle une amie de ma mère dont j’ai trouvé les coordonnées sur les pages blanches. À peine me suis-je présentée, à peine ai-je dit « Je suis la fille de Joëlle Cournède » que je m’effondre en sanglots.

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Mon chat est une star sur mon blog : les messages le congratulant pleuvent, mais la part d’ombre de ce chat s’exprime sur le traitement qu’il inflige à mon meuble chaque fois qu’il estime que ma grasse matinée a trop duré (et qu’il est 7 heures du matin) :

Merci Minou

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Plus j’enquête sur ma mère et plus je me sens à la fois proche et différente d’elle.

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D’habitude, c’est moi qui cuisine et c’est lui qui fait la vaisselle, mais aujourd’hui il se précipite sur les légumes, l’économe et la planche à découper, donc c’est moi qui me tape toute la vaisselle et je déteste ça.

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Au Jardin des plantes, un couple de perruches vert et bleu niché dans les arbres, elles se chantent des chansons. Un enfant sur sa draisienne en haut d’une pente que bientôt il descend à tout allure pilant face à un arbuste et sa mère qui crie « Les pieds ! Mets les pieds pour freiner ! »

Lundi 23 novembre

Cette nuit dans mes rêves je me baigne dans la Dordogne, le courant m’entraîne dans le Lot, des tas de serpents passent près de moi et se faufilent entre mes jambes, alors je remonte la rivière à contre-courant pour les fuir. Puis suis sur une plage de sable fin, l’eau est translucide, mais un énorme requin s’approche du bord et fait fuir tous les baigneurs.

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Au réveil, nous nous racontons nos rêves puis nous imaginons ceux du chat : « On sonne à la porte.  J’ouvre. Et là, je vois un énorme poulet rôti et plein de crevettes. »

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Je demande à récupérer les motions déjà faits à une personne qui me répond : « Virginie, mais qu’est-ce que c’est des motions ? »

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Rupture de stock du Munchen, on remplace par du Arena white, surtout pas de l’extra-white.

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Sur le palier de mon étage, il y a cinq portes mais c’est l’odeur de chez moi qui domine : un mélange de crème, d’onguent, de parfum, d’huile essentielle, de cuisine et de fourrure de chat.

Mardi 24 novembre

J’écris la date du jour : « Dimanche 24 novembre ».

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Sur le marché, pendant que je commande ma botte de cresson, un vieil homme passe derrière moi et crie « J’ai mal aux pieds ! »

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Je demande à ceux qui ont connu ma mère au collège, au lycée, dans sa jeunesse de me parler d’elle. Je ne comprends pas que ces gens se souviennent si peu, puis je réalise que si on me demandait de décrire dans le détail, de dire des faits précis, sur telle ou telle amie du collège, du lycée ou de ma jeunesse, je serais bien en peine. 

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Assiettes de velouté au cresson du chat : avant – après.

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Magali, la cousine de ma mère, a passé toutes ses vacances à la ferme, avec ma mère, sa sœur et son frère. Elle en repartait toujours avec toujours une poule et un billet que mes arrière-grands-parents lui offraient.

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Un homme qui ouvre régulièrement son dictionnaire pour faire ses mots-croisés dit caresser les mots.

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Dès qu’elle me voit, ma concierge prend des nouvelles de mon chéri, je m’interroge sur la relation qu’ils entretiennent…

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La fille d’un dessinateur était en chemin pour aller chez sa mère qui venait de mourir quand le téléphone a sonné : on lui annonçait la mort de son père. Dans ma famille, il y a un couple qui est mort à vingt-quatre heures d’intervalle.

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Une frite dérive au milieu de ma piscine. 

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Je me promène sur la Coulée verte et me dis que les gens qui m’observent, cachés derrière le carreau de leur cuisine, doivent se dire « Tiens, y a la folle ! » parce que lorsque je marche je parle toute seule, j’agite les bras, les mains, je converse. Même derrière le masque, ça se voit.

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V’là la sécurité, vite vite vite, le masque sur le nez !

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16 h 50 : une fille en peignoir rose fuchsia téléphone sur son balcon.

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20 h 10 : bon, ben, le journal du presque-confinement n’est pas prêt de s’arrêter ! Mais il va devenir un journal du « confinement relâché ».

Mercredi 25 novembre

Mon chéri et moi discutons d’un documentaire sur la réincarnation qu’il a regardé la veille, un homme est triste de n’avoir jamais été réincarné en rose, alors qu’il s’est déjà réincarné plusieurs fois en fleurs. Il prétend être un des messagers du Bouddha. À l’époque où je vivais à Londres, une connaissance m’avait dit que tout près de chez moi, à Brick Lane, vivait la réincarnation de Jésus. Brick Lane m’aura plus marquée pour son delicatessen ouvert H24 où après mes sessions de tango je me régalais de bagels au pastrami et de strudel aux pommes à 1,50 £ que pour sa mystique. Et aussi parce que c’est là que j’ai découvert Carmex, et une fois qu’on a passé du Carmex sur ses lèvres desséchées, plus rien ne peut rivaliser avec. 

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Je m’asperge d’huile essentielle de camomille romaine (puissant somnifère, mais absolument inefficace sur moi) et mon chéri me dit qu’il a l’impression de se coucher aux côtés d’un rôti aux herbes de Provence.

Jeudi 26 novembre

On me parle de « zoom fatigue ».

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Au Salon de la lingerie, deux marques sortent du lot : Le petit trou et Saison sèche.

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Je ne me ferai plus masser par Boris qui a, me dit-on, complètement changer de métier. J’accuse le coup. Il me reste Chloé et Bertrand. Sandra, je ne la recommande pas.

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Rendez-vous pris chez le coiffeur.

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Les cadeaux de Noël avancent bon train.

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Discours d’Agnès Jaoui

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Un homme appelle le clitoris la « languette », un autre homme qui se réclame être un expert du clitoris pense que la « languette » est pourvue de dix terminaisons nerveuses (huit mille en vérité).

Vendredi 27 novembre 

3 h 12 : je ne dors toujours pas. J’écoute des humoristes en boucle. J’oscille entre le rire et les larmes nerveuses. 6 h 22 : je suis réveillée.

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Je suis toujours cette personne américaine sur Instagram sans savoir qui elle est mais j’aime toutes ses photos ; elle a l’air de vivre hors du temps. 

Dernière photo postée il y a quelques jours.

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Je calcule que la dernière fois que j’ai regardé la télé ça devait être en juillet 2019, chez mon amie de Nice, soit il y a près d’un an et demi.

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Le dessinateur Loïc Sécheresse dessine les députés qui ont voté pour la loi de Sécurité globale avec le #deputesdelahonte

Samedi 28 novembre

Durant le Black Friday, les Américains ont dépensé 6,2 millions de dollar à la minute. En un an, Amazon a recruté 450 000 personnes à travers le monde.

Les couilles de Jeff Bezos

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Il est 11 h 48 et j’écoute le journal de 7 heures, j’aime bien quand le journaliste dit « Bonjour, il est 7 heures. »

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Une trentaine de camions de CRS et des dizaines de fourgons de policiers autour de la Bastille.

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Ce n’est pas moi qui ai barré le « t », mais ça aurait pu l’être.

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Après que mon chéri m’a expliqué avoir commandé un article sur Amazon et que je l’ai sermonné vertement, je lui dis que « ce soir, je regarderais bien un Indiana Jones, La Dernière Croisade au hasard ». Il me répond « Excellente idée ma chérie, en plus j’ai tous les Indiana Jones sur Amazon Prime. »

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« Dans quelle mesure l’éthique personnelle doit-elle obéir à une certaine indulgence lorsqu’il est question de plaisir ? », vous avez quatre heures.

Dimanche 29 novembre

Une amie précieuse dit vouloir me faire livrer un cadeau pour Noël, est-ce que j’accepte de le recevoir sachant qu’il n’est disponible que sur Amazon ?

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« Comment justifier les compromis au nom de l’amitié ? », vous avez de nouveau quatre heures.

© Virginie Manchado, 2020

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