Billets d'humeur

« Causette » dans ma boîte aux lettres

En février, tout a commencé par la coupelle d’épluchures de pommes déposées par une collègue sur le bureau de mon stagiaire, qui les apprécie particulièrement (il est anglais). En février, nombre de mes collègues ont complimenté la tasse dans laquelle je bois mon thé, un modèle unique que j’ai acheté chez mon céramiste préféré pour me rappeler la Lozère tout au long de l’année ; une collègue américaine à qui je demandais si elle avait trouvé son bonheur aux soldes m’a dit « avoir fait des folles ! » ; une de mes collègues a eu l’œil gauche gonflé et injecté de sang comme les chats qui se sont battus sauf qu’elle ne s’était pas battue mais avait contracté un virus aux urgences hospitalières où elle s’était fait retirer une poussière dans l’œil. En février, le chat d’une collègue s’appelle Robert Badinter ; un sac de litière me coûtera 31 % de plus qu’en 2022 ; cet être charmant, qui a quatre pattes, deux oreilles, une queue et de belles moustaches a la gentillesse de me réveiller à 5 heures du matin à plusieurs reprises.

En février, dans un de mes rêves, j’achète des produits de la ruche mais qui se révèlent être fabriqués avec du lait de chèvre ; sur les étiquettes il est écrit « biquette ».

En février, je ne comprends toujours pas : aucune de mes amies n’a divorcé à ce jour, comment font-elles pour défrayer les statistiques à ce point ? qu’attendent-elles pour rentrer dans le rang ? 

En février, je suis allée chez Leroy-Merlin chercher du produit pour détartrer les toilettes, produit que j’ai trouvé à l’entrée du magasin, dans un rayon nommé « Les indispensables », le flacon était vendu 13 euros, mais je ne me suis pas laissée avoir. J’ai passé mon chemin, tracé au rayon des produits ménagers où j’ai trouvé une bouteille d’acide chlorhydrique pour 1,90 €.

En février, gratitude en découvrant les mots charmants des amies qui ont aimé mon précédent post dans ce blog, Marie-Christine, Sonia, Sophie, Sylvie…, on ne se voit pas souvent mais le lien perdure ; une amie qui avait lu mon post du mois de janvier m’a dit qu’elle allait à La Bourboule prochainement et que, comme moi, elle croyait que c’était une station balnéaire, mais près de Marseille. 

En février, les crocus de mon balcon fleurissent (bulbes plantés l’année dernière, soit deuxième floraison)  ; il y a eu des jours où, sans surprise, en arrivant à la piscine j’ai trouvé porte close, mais j’avais tout prévu, j’étais à vélo et j’ai pu filer vers une autre piscine ouverte, elle ; il y a eu des jours où c’était très dur d’avancer à vélo, pourtant c’était le même trajet que les autres jours et puis il y a eu un jour où il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, au sens premier du terme : j’ai acheté un demi-poulet rôti, j’ai commencé à le découper, le chat a rappliqué dans la cuisine, j’ai coupé de petits morceaux que j’ai déposés dans son bol et le chat a fait demi-tour et est retourné dormir. L’animal serait-il devenu végétarien ? vegan ? ou spéciste ? Il y a eu un soir où je me suis répétée que sitôt mon repas fini, je me précipiterais sur mon clavier d’ordinateur pour écrire ce à quoi je ne cessais de penser, mais quand je me suis retrouvée face à mon clavier, impossible de me rappeler quoi que ce soit. Alors, j’ai brodé dans mon carnet de notes en espérant que ça me rafraîchisse la mémoire. En vain. Finalement, je suis allée prendre une douche. Toujours rien. Puis je me suis couchée. Et c’est une fois que j’étais confortablement installée dans mon lit, lovée entre plusieurs oreillers et une pile de couettes, que je me suis souvenue : comme j’avais mal dormi la nuit précédente, toute la journée j’avais eu très faim. À midi, à la cantine, j’avais pris un riz-au-lait, que j’avais mangé après avoir fait couler dans mon assiette l’épaisse couche de caramel qui le recouvrait. Il n’était pas mauvais. Mais le riz-au-lait, c’est ma grand-mère paternelle, il n’y a pas à tortiller. Plus jamais je n’aurai en bouche le goût de son riz-au-lait – du riz-au-lait – mais je peux le recréer, là, en y pensant, en la revoyant, elle dans sa cuisine, criant « Virginie, la casserole ! » et moi qui accours une cuillère à soupe à la main pour racler délicatement la croûte de lait sur les bords de la casserole, casserole qui ne sert à rien d’autre qu’à cuisiner le riz-au-lait, et me servir un petit bol de riz-au-lait encore fumant. Rien que d’y penser en écrivant ces lignes le goût revient dans ma bouche et je salive. C’est ça que je voulais écrire, le riz-au-lait, c’est ma grand-mère paternelle. 

En février il y a eu un jour où quelqu’un m’a dit (comme il l’avait dit à Carla Bruni) que quelqu’un lui avait dit que son patron lui avait dit : « Je ne sais pas comment font les gens pour vivre avec moins de 10000 € par mois. » Moi, je sais.

Il y a eu la onzième journée du mois : d’abord, je me suis fais faire les ongles, ensuite, je suis allée à la manif, car il me fallait être en beauté pour manifester. 

Un soir de février je suis allée au théâtre, plusieurs soirs en vrai, mais un soir en particulier où, d’abord, j’ai eu un mal fou à trouver une place où attacher mon vélo et où, ensuite, j’ai vu Édouard Baer sur scène avec son Journal de Paris. C’est un spectacle qui laisse sa chance à des gens croisés lors d’auditions, dans la rue, des gens qui écrivent un courrier à Édouard Baer, comme cette fille de Ménilmontant qui a toujours rêvé de présenter la météo marine. Parfois, ce sont des gens repérés dans la rue le jour même. Ce n’est donc jamais le même spectacle. J’y vais avec un copain mais comme nous n’avons pas pris nos places ensemble nous ne sommes pas assis à côté. Je suis seule au quatrième rang, mais pas longtemps car un homme s’installe à côté de moi, il veut absolument me parler mais je refuse, donc il se tourne vers son voisin. Et lui accepte de parler, plutôt, de l’écouter. Et moi, j’entends tout. Mon voisin bavard vient de Grenoble. Il est à Paris, à Nation précisément, pour une formation, car il est data analyst. Il devait rentrer l’avant-veille, mais grève, donc il s’est dit « Autant passer quelques jours à Paris » (il rentrera le lendemain). Il a-do-re Paris. Comme il a vu qu’il restait une place pour le Journal de Paris d’Édouard Baer de ce soir, il l’a prise. « En plus c’était une place au quatrième rang, et moi, j’aime être assis devant, on voit bien les acteurs. » Il fait du théâtre depuis neuf ans, c’est venu par hasard. À son premier cours, il devait incarner un animal, il a choisi le singe. Ses camarades ont tellement ri de sa prestation qu’il a joué un singe dans le spectacle de fin d’année : en pagne, il était le singe, et il devait donner une banane à une dame du public, « C’est génial, tu trouves pas ? On peut se tutoyer ? », dit-il à son voisin qui n’aura jamais l’occasion de le tutoyer puisqu’il ne peut pas en placer une. (Pour ma part, je suis très contente d’avoir tourné la tête quand il a commencé à me parler.) L’été dernier, il est allé à un festival de théâtre « local, mais réputé », il était devant, comme ce soir, eh bien un acteur l’a choisi, lui, pour monter sur scène. À ce moment-là, son voisin réussit à lui demander s’il n’était pas stressé. « Non, pas du tout. Même si ce soir Édouard me demande de monter, je monte ! » « Vous montez ? Vraiment, vous ne seriez pas stressé d’être sur scène ? » « Non, moi, ce qui me stresserait ce serait de voler la vedette à l’acteur. Parce que je sais comment ça se passe sur scène. » Une pause. « Je parle beaucoup, et vous ? enfin, et toi ? qu’est-ce que tu fais ? » Son voisin parle beaucoup moins fort, donc je n’entends pas tout ce qu’il dit, si ce n’est qu’il pratique un peu le théâtre. De toutes façons, il n’a pas le temps d’aller plus dans les détails car l’autre reprend « Je pratique aussi le théâtre en anglais. Bien sûr, je parle anglais. Mais ce que je recherche, c’est ne pas employer des expressions banales, de tous les jours, pour ne pas tomber dans la facilité. Mais tu vois, moi, j’aime vraiment le théâtre, je ne cherche pas à gagner de l’argent avec, j’aurais trop peur de perdre la flamme. » Sur ce, Édouard Baer (désolée, je ne le connais pas personnellement donc, contrairement à mon voisin, je ne l’appelle pas Édouard) entre en scène. Et mon voisin se tait, ouf (bien sûr, il prend moult photos d’Édouard Baer.) Le spectacle se déroule, c’est génial, on rit énormément. Tout d’un coup, Édouard Baer s’adresse à quelqu’un qui est tout près de moi mais, comme souvent dans ces cas-là, on ne sait pas qui regarde exactement la personne qui est sur scène, son voisin immédiat ? le voisin suivant ? ou soi ? Finalement, Édouard Baer descend de scène et s’adresse vraiment au voisin de mon voisin, celui qui n’a pas pu en placer une face. De fil en aiguille, Édouard Baer le convainc de monter sur scène pour dire quelque chose. Le gars est rouge d’émotion et de stress, on le sent pas à son aise, il finit par proposer de réciter Le Cancre de Prévert, grand prince, Édouard Baer l’envoie réviser en coulisses. Le spectacle se poursuit et ce voisin réapparaît à plusieurs reprises sur scène pour réciter Le Cancre, il devient évident qu’il est comédien et qu’il fait partie du spectacle. Et moi, je jubile que mon voisin qui se voyait déjà monter sur scène se soit fait avoir par un comédien, qui jouait merveilleusement l’intimidation et l’inconfort.

En février, j’ai résolu le mystère du Causette dans ma boîte aux lettres. Il y a quelques semaines, j’ai reçu un exemplaire de Causette. D’abord, je me suis dit que la rédaction devait offrir un numéro à toutes ses anciennes abonnées afin de les inciter à se réabonner. Puis je me suis souvenue que lorsque j’étais abonnée j’habitais à une autre adresse que l’actuelle, Causette ne pouvait donc pas m’envoyer de numéro. J’ai résolu ce mystère (un autre mystère, comme celui de la carte postale d’Anaïs en fin d’année) en concluant que mon adresse devait figurer sur un quelconque listing, j’ai lu le Causette et puis j’ai oublié toute cette affaire. Pendant ce temps, une amie me demandait régulièrement si j’avais reçu son cadeau de Noël. Je guettais ma boîte aux lettres à l’affût d’un avis de passage des copains en bleu et jaune, rien. Jusqu’à ce soir où j’ai trouvé une enveloppe marron dans ma boîte aux lettres. J’ai commencé par râler contre cette pub que je ne voulais pas, pourtant l’enveloppe était épaisse, elle devait contenir quelque chose de consistant. Et en un clin d’œil, j’ai tout compris. Mon amie m’a abonnée à Causette, n’est-ce pas merveilleux ?

En février, c’est aussi :

  • Piscine le soir.
  • Porridge le matin.
  • Bain le soir.

Il paraît qu’écrire 30 minutes tous les jours prolongent l’espérance de vie. Est-ce qu’écrire des SMS –attention, des SMS bien écrits, qui ressemblent à de la prose – compte ?

Un jour de février, je suis sortie tôt du bureau grâce à mes verrues plantaires : il y avait du soleil, je pédalais bien. La dermato n’était trop en retard. 

En février, le fromage adoré coûte désormais 15 € pièce versus 12 € il y a moins d’un an. On s’en privera, de ça comme du reste.

En février, je sais que ça fait rire beaucoup de monde : nous ne sommes que mercredi mais je commence déjà à préparer ma valise pour ce week-end.

En février, je laisse entrer une grosse mouche pour que le chat se divertisse un peu. Ça marche fort bien, pendant une bonne heure ça court, saute, monte, descend, resaute, accélère dans tous les sens – il y a bien un ralentissement au moment où je m’apprête à manger une tranche de jambon blanc, c’est même un réel dilemme pour le chat, mais je suis une bonne âme et abrège son choix cornélien en amputant ma part de jambon pour qu’il en profite aussi. Puis j’en ai assez d’entendre bzz bzzz bzzz au-dessus de ma tête et je m’enferme dans la cuisine avec la mouche, j’ouvre en grand la fenêtre, nous plonge dans la pénombre et j’attends qu’elle trouve son chemin. Tout le reste de la soirée, le chat cherche sa mouche.

En février, il est 6 h 40 et je suis prête à aller à la piscine. La raison me dit d’aller directement à la piscine qui ne fait jamais grève mais qui est à 3,5 kilomètres de vélo de chez moi, mais le cœur (et aussi la paresse) me dit d’aller à la piscine qui n’est qu’à 800 mètres de chez moi à vélo mais qui est régulièrement en grève. N’étant pas à une contradiction près, tout en me disant « Je vais aller directement à celle qui n’est jamais en grève », je pédale vers celle qui est souvent en grève. Sur place, la lumière est allumée (bon signe), le personnel s’affaire derrière les portes vitrées (très bon signe), je gare mon vélo. Il est 6 h 53, la piscine ouvrira dans sept minutes, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. 6 h 58, bam !, un type de l’accueil nous annonce que le second maître-nageur ne s’est pas présenté, pas sûr qu’il vienne. Tous les nageurs soupirent. Je détache mon vélo que j’enfourne direction la bonne piscine. Pendant que je pédale, je peste contre ces maîtres-nageurs grévistes, « Vous mériteriez d’être noyés ! », voilà ce que je vais leur dire la prochaine fois que je les verrai. Je me vois déjà en train de leur attacher une pierre au pied et de les jeter dans la rivière ou de leur plonger la tête dans un seau d’eau chlorée, « Ah, tu fais pas le malin là, hein le maître-nageur gréviste ! » Puis j’entends le chant des petits oiseaux qui se réveillent et je me dis que si ces maîtres-nageurs n’avaient pas fait grève, je ne serais pas allée à la bonne piscine, je ne serais pas passée par ce chemin à 7 heures du matin et je n’aurais pas entendu la mélodie des piafs si douce à mon oreille, et mon courroux s’envole et mon cœur s’adoucit. Une fois dans l’eau, je me dis que je vais nager jusqu’à 7 h 43 pour ne pas arriver trop tard au bureau, mais il est 7 h 45, puis 7 h 46, 7 h 47… et je ne peux pas m’arrêter de nager car c’est tellement agréable. Sur le chemin du retour de la piscine, je roule tranquillement quand je croise une dame, et ses deux chiens, qui marche en plein milieu de la rue, je ralentis et m’écarte pour les éviter, la dame me jette un regard noir et dit à son chien « Viens là pupuce. »

En février, le chat a des puces.

En février, je reçois ce message d’une amie : « J’ai rêvé de toi, tu m’envoyais des photos et tu me disais « On s’est éclaté ! » Tu étais allée voir un spectacle qui finissait en partouse. » Une autre amie, à qui je dis avoir rangé dans mon armoire tous les nouveaux vêtements achetés me demande si je les ai bien classés par couleur : bien sûr ! depuis qu’elle m’a initiée au rangement par couleur, mon armoire est une palette chromatique parfaitement évolutive et harmonieuse.

En février, ma voisine de bureau me demande de lui sauver la vie : une très grosse araignée a élu domicile dans son bureau. Voici comment je m’y prends : d’abord, je fais sortir ma collègue de son bureau puis je l’enferme dans une autre pièce, j’attrape une longue règle métallique que je trouve je ne sais où, j’invite l’araignée à monter dessus puis je traverse le couloir, ouvre une fenêtre et dépose l’énorme araignée sur le toit de nos concurrents. En février, à plusieurs reprises on m’a demandé des conseils en informatique, c’est ce genre de moments qui m’emplissent de fierté.

En février : tou-toute première fois au Touquet ! J’ai pris mon maillot, mes gants et mes chaussons de nage anti-froid, mais trop de houle, impossible de se baigner.

En février, c’est aussi un homme habillé comme Dartagnan croisé dans la rue ; c’est une vieille dame qui, au moment où je sors du bassin de la piscine me dit « Jolie silhouette, c’est agréable à regarder« , c’est le constat partagé avec ma libraire qu’il n’y a pas grand-chose à lire ce mois-ce, tout de même quelques pépites : un livre sur l’amitié écrit dans une langue d’une telle pureté et la découverte de Julie Otsuka.

Enfin, il me semble fondamental de mentionner qu’un matin de février j’ai fait quelque chose que je n’avais pas fait depuis – au bas mot – des mois, j’ai passé la serpillière.

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6 réflexions au sujet de “« Causette » dans ma boîte aux lettres”

  1. Ah Julie Otsuka!!
    Magnifique  » La ligne de nage  ».
    Sinon j’ai lu quelque part que c’est à la piscine qu’on note le moins d’incivilités et c’est vrai que les gens sont dans l’ensemble courtois, qu’on s’excuse quand on heurte quelqu’un en nageant. C’est un sport individuel dans lequel le collectif joue un grand rôle. Bizarre!
    J’aime bien aussi ton histoire de théâtre avec le monsieur volubile qui raconte sa vie à celui qui s’avère faire parti du spectacle. Et si le monsieur casse pieds était aussi dans le spectacle?
    Merci pour ta carte postale .
    Des bises
    Sylvie

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  2. Quel art, chère Virginie, de nous faire entrer par le détail, dans des situations cocasses de ta vie quotidienne ! Une tranche de couleurs et de sensations que je gloutonne en m’assurant qu’il y en a encore un peu après la dernière bouchée !

    Aimé par 1 personne

  3. Et bien, c’était un mois bien occupé ! En 28 jours seulement !
    Je ne crois pas que j’aurai jamais le courage d’aller à la piscine à 7h du matin, en plein hiver en plus … Bravo !
    J’avais lu « Certaines n’avaient jamais vu la mer » et j’avais bien aimé. Alors, je note « La ligne de nage ». J’aime beaucoup la couverture de « Deux vies ». Est-ce que c’est bien ?

    Aimé par 1 personne

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