Billets d'humeur

Splash de mars

En mars, je prends une journée pour me reposer et une perceuse tourne à fond dans l’immeuble à partir de 9 h 30, je commence par enfiler mes bouchons d’oreilles puis je finis par partir de chez moi.

Une nuit de mars, je rêve de garçons du lycée et de filles de la fac, on rit, mais on rit tellement que je me réveille en riant. Je fais d’autres rêves fous, dont un dans lequel une fille connue à l’adolescence (elle porte le même prénom que moi) a fait sa transition et est en train de devenir un homme, son ex (qui est très beau) et son fils ne lui parlent plus, ils ne la reconnaissent plus.

Pute, putain, bite, couille, nichon, salope, connasse, pute, enculé… comme j’ai beaucoup de chagrin, je dis beaucoup de gros mots, en séries. En particulier, Putain de merde. Remède qui fait ses preuves.

Les baskets vont chez le cordonnier pour baskets. J’apprends qu’un cordonnier d’art sévit rue Durantin dans le 18e, il est originaire d’Albi.

Un samedi matin, je ne cède pas à la tentation de la chocolatine chez le boulanger, et j’en suis fière, mais une heure plus tard je m’enfile une brioche au salon de thé, et j’en suis fière. Un autre samedi matin de mars, je croise de nouveau Dartagnan.

En mars, comme les autres mois, la main droite est réservée aux bagues en or, la main gauche à celles en argent. Parfois, en milieu de journée, je me rends compte que de l’or se promène à gauche et de l’argent à droite. Et puis, par moments, j’ai envie de porter une bague, une très grosse, au pouce droit. Fin mars, je me baigne dans l’eau de mer chauffée et mes bagues en argent s’oxydent.

Soudainement, je ne supporte plus les conversations téléphoniques au portable, j’ai un étau autour des oreilles, mal à la tête dès la première minute de discussion. Je m’achète un téléphone fixe et j’ai l’impression de faire un saut dans le passé. Je débranche la box dès que je n’ai plus besoin d’Internet, c’est-à-dire souvent en vrai.

Je repère un hôtel au bord de la mer en Crète qui est réservé aux adultes, finalement je ne réserve pas.

Un dimanche. Une marche matinale dans le bois. Chiens, mésanges, pies, corneilles, écureuils. Trois pots de miel achetés à l’apiculteur qui ne vient sur le marché que le dimanche (je n’aime pas bien le miel de printemps, je préfère celui d’été). Entretien des fleurs du balcon, la clématite et la pivoine repartent, les bulbes de tulipes aussi, les narcisses sont en fleur, les fraises sont sur le point de redémarrer, les petites fleurs fuchsias n’ont pas survécu à un second hiver, je me renseigne pour les remplacer par des bulbes à planter au printemps afin d’avoir de belles fleurs très colorées en été. Sans que je ne puisse l’expliquer ma chaussure de randonnée droite est désormais trop petite, cela me fait penser à Pieds dodus. Une dame de ma connaissance, très menue, âgée, qui n’avait jamais fait le deuil de son mari Michel avec qui elle n’avait été mariée que trois ans il y avait plus de quarante ans et dont elle parlait comme s’ils s’étaient rencontrés la veille, se plaignait d’avoir du mal à se chausser car elle avait les pieds dodus, disait-elle. Puis quelques jours plus tard c’est au tour des chaussons Birkenstok et mes baskets récemment réparés d’être trop petites !

En mars, je dessine (copies de dessins d’Alfred Circus) :

Un soir je marche en direction de la pépinière pour me procurer de quoi égayer mon balcon tout l’été, trois personnes arrivent simultanément en face de moi, elles sont toutes au téléphone : l’une parle dans une langue que je ne connais pas, une autre parle boulot et une autre encore d’un sujet perso. Un autre jour de mars, le long de la plage du Sillon à Saint-Malo, une dame au téléphone : « On a pris un bon petit déjeuner, mais Thierry a de nouveau la diarrhée. Pendant deux jours son ventre l’a laissé tranquille mais ça recommence, alors on va partir à midi. » Dans la rue, une fille d’une douzaine d’années environ qui dit à sa mère « Quand je serai grande j’aurai un chien quoi qu’il en soit. » Et un matin, avant de partir au bureau, je sème les graines de cosmos.

Un jour de mars, c’est Pourim et une collègue m’offre un cookie fait maison. Un autre jour je pleure en marchant dans la rue et je croise un homme qui attend quelqu’un devant une boulangerie, il pose sur moi un regard bienveillant et ça me fait chaud au cœur, un peu seulement, mais chaud tout de même. Je reçois un SMS de ma concierge qui va garder mon chat pendant mon escapade : « Prends soin de toi ma belle Virginie et moi je prends soin de ton chat. Bon week-end. »

Le cookie de Pourim

Clever : quand le chat veut sortir sur le balcon, il miaule, quand il veut sortir dans le couloir de l’immeuble, il secoue le porte-clés qui pend depuis la serrure de la porte d’entrée et dans la nuit, j’entends cling cling cling.

Un matin de mars, sans savoir pourquoi je pense au journaliste Patrick Cohen, mais je ne parviens pas à me souvenir de son prénom. Mon esprit achoppe sur Francis, je me répète « Francis Cohen », je sais bien que ce n’est pas ça, mais c’est Francis qui s’imprime et puis Patrick ressurgit. Puis je me rends compte qu’il n’y a pas une seule Émilie au bureau.

Pas très clever : le chat n’a toujours pas compris dans quel sens s’ouvre la porte d’entrée, il se poste du côté des gonds.

Un jour de mars, il faut se dire au revoir, on a du chagrin,
mais comme dirait ma grand-mère
« la vie est ainsi faite ».

Un dimanche matin, chez le poissonnier, j’assiste à cet échange entre une dame et son fils d’environ dix ans. Pendant qu’on me sert la dame se rend compte qu’elle connaît la poissonnière :

LA MÈRE : C’est fou ! Tu travailles ici maintenant ?

LA POISSONIÈRE : Oui, le week-end. 

LE GAMIN : C’est qui ?

LA MÈRE : Comment ça c’est qui ? Tu ne la reconnais pas ?

LE GAMIN : Ben non.

LA POISSONIÈRE : La pizza… ?

LE GAMIN : La pizza, la pizza… ?

LA MÈRE : Mais si, là où on allait manger des pizzas.

LE GAMIN : Ah, oui !

LA MÈRE : Alors tu travailles ici le week-end, et le reste du temps ?

LA POISSONIÈRE : Ici, le week-end. Au bar x, du jeudi soir au samedi soir. Au restaurant x, de temps en temps. Au salon de thé X, le mardi…

LE GAMIN : Ah, t’aimes vraiment la gourmandise toi !

En mars, ce qui me fait mal parfois, c’est de ne pas me souvenir du son de la voix de ma mère.

Toujours en mars, j’apprends qu’un enfant adopte le ton, l’accent, le rythme, la diction de sa mère dès sa naissance.

Une rue de Saint-Malo

En mars, je réalise que nombre d’événements déterminants de ma vie se sont produits à la mi-mars. Déménagement, emménagement, fin de contrat, nouveau contrat, rencontres amoureuses, séparations… D’après la dame qui me fait un massage chinois du ventre, c’est parce que c’est l’approche de mon anniversaire et donc la fin d’un cycle, signe que je suis bien en phase avec moi-même.

En mars, je décide de m’acheter trois robes pour cet été. Et j’achète la première de la série à Saint-Malo.

La couleur de la robe que j’ai achetée.

En mars, des histoires de collègues, bien sûr :

  1. Une de mes collègues a voulu écrire « J’ai rapporté la boîte » et a écrit « J’ai rapporté la bite », la terre entière était en copie du mail, bien évidemment.
  2. Une de mes collègues a voulu dire « Comme ça, j’évacue ce sujet » et a dit « Comme ça, j’éjacule ce sujet. » 
  3. Une de mes collègues qui est enceinte s’est prise de passion pour le pamplemousse. Lorsqu’elle arrive chez elle le soir elle coupe un pamplemousse en deux « Et voilà, ta vie est faite », me dit-elle, « tu manges ton pamplemousse à la petite cuillère, tu n’as besoin de rien d’autre dans la vie ».

Mars, c’est bien sûr la piscine. À force de la fréquenter, je connais les gens, mais je les vois toujours avec leur bonnet sur la tête, alors quand je les croise sans je suis surprise et même déçue. Un matin, en attendant que la piscine (le personnel est en retard pour ouvrir, sans commentaire), je discute avec un vieux monsieur. Plus tard, comme j’ai dû changer de ligne, je le croise à nouveau, il me dit « Hey, bonjour ! »

Araignée croisée sur le chemin de la piscine vers 6h53 un matin de mars.

C’est un dimanche matin du mois de mars 2023 et Dieu que j’aime ce temps, ce ciel gris sur le point d’éclater en pluie, cet air chargé d’humidité mais pas froid, le chant des oiseaux, le bruit du vent. Aucune autre condition météorologique ne me procure la même sensation de bien-être, ce sentiment de plénitude qui traverse tout mon corps. J’aime le froid sec, j’aime les grosses averses, les nuits de vent, j’adore les matins ensoleillés, j’aime le ciel bleu et les gros orages d’été, mais rien, absolument rien, n’égale ces journées de printemps grises et annonciatrices de la pluie. En cet instant précis, tout vibre à l’unisson, je ne connais pas de plus absolue perfection.

En mars une question reste sans réponse : D’où vient cet usage du mot « petit » à tout bout-de-champ ? « Installez-vous, je vous apporte la petite carte » ; « On a fait son petit choix ? » ; « Faites-vous plaisir, prenez un petit dessert » ; « Ce petit soleil est bien sympa » ; « Avec une petite jupe, ça ira très bien » ; « Il nous a fait sa petite crise »…

Il est tôt en ce samedi matin du mois de mars et je viens de confier mon vélo à un nouveau réparateur, je suis dans un quartier que je fréquente peu. Je remonte l’avenue et longe un parterre de jonquilles sauvages magnifiques, je croise un groupe de gens qui promènent leurs chiens et qui discutent comme les parents devant l’école, puis je bifurque et entre dans le cimetière. Plusieurs enterrements sont prévus, je change de chemin à plusieurs reprises pour les éviter, je me faufile entre les tombes en essayant de ne pas glisser sur l’herbe et les feuilles mouillées, je caresse quelques arbres ici et là, je lis les noms – j’aime beaucoup lire les noms sur les pierres tombales et sur les monuments aux morts, j’aime écouter les modes des prénoms, deviner à quelle fréquence une famille a été endeuillée, calculer l’âge des gens décédés et soupirer devant toutes les injustices que commet la vie à notre égard –, je passe devant la tombe d’Yves Coppens, aux messages que je lis, j’en déduis qu’il n’avait ni famille, ni amis, puis je m’arrête au soleil, je lui parle comme souvent, je lui dis « Soleil de printemps, réchauffe-moi, partout, traverse-moi et sèche mes larmes, réchauffe mon cœur et mon âme », un oiseau qui pique sur un arbre (serait-ce un pivert ?) attire mon attention (son bruit résonne fort) et c’est l’heure de redescendre cette rue pour aller boire mon chocolat chaud et manger ma madeleine aux pépites de chocolat (on ne se refait pas) à mon salon de thé préféré.

En mars, je veux m’acheter une nouvelle couette plus grande pour qu’elle retombe de chaque côté du lit. Je vais acheter également des draps en lin lavé, parce que c’est très doux.

Un œuf au plat et un bol de thé après la piscine. Ensuite, je m’attèle au ménage de printemps, j’aspire dans les recoins, sous le lit, récure les petits angles. Une fois que j’ai fini j’ai envie de m’installer sur une chaise du balcon, alors j’apporte mon nouveau bol de thé avec moi, je tire une chaise, retourne le coussin plein de poils de chat et m’assois. La lumière est vive et malgré les nuages je supporterais bien mes lunettes de soleil, je regarde au loin puis mes fleurs, les pots, je me dis qu’après avoir bu mon thé, je descendrai les crocus des suspensions et monterai la pivoine à la place, que je me séparerai de la bruyère desséchée, non sans lui avoir dit au revoir et merci pour toutes ses petites fleurs roses qui ont coloré mon hiver, et mes yeux tombent sur une toile qu’une araignée a tissée entre deux pots – l’origan et des petites fleurs fuchsias dont j’ai oublié le nom. Je caresse la sauge qui, je l’espère, fera plein de petites fleurs rouges, mes doigts sentent si bon.

La toile de l’araignée sur le balcon.

Un après-midi de mars j’appuie sur le grille-pain, quelques instants plus tard j’entends le clap. Je savoure déjà mes tartines bien grillées, mais il n’y a pas de pain dans la machine, j’avais oublié d’en mettre.

Un jour de mars, le 49.3. Ça va mal finir tout ça.

« Pour une femme de son âge, qui déplie la première année de la cinquantaine », a écrit Alice Ferney dans son dernier roman. C’est une très belle phrase.

Apprenrez qu’on ne cuit pas le pain dans tous les arrondissements de Paris. Historiquement, dans le 20e on fait bien cuire le pain.

Very clever. Nous sommes dimanche et le vendredi qui suit je dois prendre le train pour Saint-Malo, mais je pressens l’annulation, alors je réserve un Blablacar. Bingo, mercredi soir mon train est annulé ! Les trajets en voiture, c’est très long. En plus, on ne peut même pas lire.

En mars, c’est la grande marée à Saint-Malo, des vagues de plus de douze mètres de haut viennent taper sur les façades des maisons. Des gens éclaboussés. Le croissant de lune et l’étoile du berger tout près l’un de l’autre dans le ciel noir, les vagues immenses, leur élan, leur suspension dans les airs puis leur fracas quand elles s’abattent sur les maisons, d’autres étoiles dans le ciel. Tant de beauté malgré la dureté de la vie. Une rue qui s’appelle « Rue du Pourquoi-pas ». Le soir, je dîne dans mon restaurant japonais préféré où j’ai mes habitudes – c’est toujours aussi bon – un homme et une femme sont assis près de moi, elle ne fait que parler, je crois qu’elle lui raconte qu’elle est chamane ou un truc comme ça et qu’elle a des visions concernant son ex et aussi qu’elle sent la présence de l’ex-femme d’un autre homme. Je mange une délicieuse soupe miso et je prends un dessert : un mille-feuilles de crêpes fourrées aux haricots rouges avec du yuzu. Dans l’ascenseur, le groom explique à de nouveaux clients, qu’il accompagne à leur chambre, que pour rejoindre la thalasso et le restaurant ils vont passer par la Passerelle, qui est un bar et donc un lieu où passent les clients de l’hôtel plusieurs fois par jour, « Vous devez le nettoyer plusieurs par jour alors ? », demande la cliente. En mars, dans le spa de Saint-Malo, j’ai tellement hâte que ce ne soit plus la mode du tatouage. En fait, refuser de céder à cet appel imbécile est déjà un geste subversif. En mars, à l’hôtel où je séjourne à Saint-Malo, Nicolas Hulot me fait un clin d’œil. 

Un dimanche soir de mars, de retour à la maison, j’essaie de recoller les morceaux avec le chat qui, contrairement à moi, n’a pas apprécié mon escapade malouine.

Le dernier jour du mois de mars, je sors de chez le coiffeur et l’odeur de mes cheveux excite le chat, il se frotte contre eux, les sent, les mordille.

Splash de mars
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2 réflexions au sujet de “Splash de mars”

  1. Bonsoir Virginie, J’espère que tu vas bien. Merci pour tes chroniques, toujours aussi touchantes. J’aime beaucoup te lire, entre sourire et émotion. Si tu es à Paris le 13 avril, et si le cœur t’en dit, rejoins nous (Pascal, notre gentil organisateur, t’a envoyé un message). A bientôt, à cette occasion ou une autre fois. Good night, sleep tight, Jean-Jacques

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