Littérature étrangère, Livres

« Le Mur invisible » de Marlen Haushofer

Temps de lecture : 5’26

Quand j’ai commencé ce blog, il y a tout juste deux ans, j’ai consacré ma première chronique à Americanah, ce roman que j’avais relu, moi qui relis si rarement des livres, préférant toujours goûter à la littérature ultra-contemporaine.

Après quelques mois d’interruption de chroniques littéraires, non pas par paresse mais parce que j’avais investi d’autres sujets rédigés, j’ai eu ce matin, l’envie subite d’écrire une chronique sur un livre qui m’est si cher, Le Mur invisible.

*

La narratrice a répondu oui à des amis qui l’ont invitée à passer trois jours dans leur chalet de montagne, en Autriche…

Je me relevai trois fois pour vérifier qu’à trois mètres de moi existait vraiment quelque chose d’invisible, de lisse et de froid, qui m’empêchait de continuer mon chemin.

Le Mur invisible et moi

Ce roman, je l’ai découvert il y a presque vingt ans. Un jour d’été, j’étais désœuvrée et comme bien souvent dans ces cas-là (cela n’a pas changé), je me réfugiais dans une librairie, Ombres blanches en l’occurrence. Je voulais lire un livre mais n’avais aucune idée de celui qui pourrait me plaire. Je passais et repassais dans le rayon des livres de poche (je n’avais pas encore fait mon stage chez Actes Sud et découvert le plaisir de lire des grands formats ; le rayon des livres de poche était à l’étage à l’époque, car Ombres blanches n’avait pas encore procédé à sa grande réorganisation interne).

Je prenais un livre, le feuilletais, le reposais, j’en prenais un autre, ainsi de suite. À côté de moi un libraire s’affairait – aujourd’hui quand je suis dans pareil désarroi je vais voir le libraire et lui dis « Je ne sais pas quoi lire », alors il me demande ce que j’ai aimé récemment puis me fait une liste suggestive adaptée à ma réponse, mais à cette date j’étais bien trop timide pour me comporter ainsi. Une dame d’une cinquantaine arriva et commença à discuter avec le libraire. J’étais à côté et entendais tout ce qu’ils se racontaient. Je me mis carrément à écouter tout ce qu’ils se racontaient : « Oh, ce livre ! Qu’est-ce que je l’ai aimé ! Je l’ai offert à des dizaines de personnes ! » « Oui, il est absolument magnifique. » Je jetais un coup d’œil discret vers eux, la dame attrapait un exemplaire du Mur invisible, qu’elle allait offrir une fois de plus. Après quelques minutes à continuer de faire semblant de chercher un ouvrage, je prenais à mon tour un Mur invisible. Depuis j’ai renouvelé à de multiples reprises ce procédé et que cela m’a valu quelques déconvenues, mais ce jour-là, je fis bien.

Je n’avais qu’à attendre et à attendre encore. Ici tout vient en son temps, un temps qui n’est pas harcelé par des milliers de montres. Rien ne pousse ni ne presse. Je suis la seule à être impatiente dans cette forêt et à en souffrir.

Couper du monde

… le premier soir, fatiguée, la narratrice n’accompagne pas ses deux hôtes partis à la taverne du village boire une bière. Elle se couche, seule. 

Le lendemain matin, elle se réveille, seule. Intriguée, elle part à la rencontre de ses amis et se heurte à un mur invisible, un genre de cloche qui la coupe du reste du monde sur lequel semble s’être abattu une catastrophe façon Pompéi. Dès lors, deux possibilités s’offrent à elle : se supprimer ou survivre, avec ce et ceux qu’on a.

Ce roman raconte la mue d’une femme : de celle qu’elle a été à celle qu’elle est devenue, et même celle qu’elle est en train de devenir, les trois étant totalement étrangères l’une à l’autre. Il raconte la vie jour après jour, il dit la Nature, la nature humaine, le règne animal, le monde végétal, les éléments, et interroge la Vie.

Ce n’est pas que je sois laide, plutôt ingrate, je ressemble davantage à un arbre qu’à un être humain, une souche brune et coriace qui a besoin de toute sa force pour vivre. Quand je me remémore la femme que j’ai été, la femme au léger double menton qui se donnait beaucoup de mal pour paraître plus jeune que son âge, j’éprouve pour elle peu de sympathie. Mais je ne voudrais pas la juger trop sévèrement.

Ce que cette lecture produit en moi

Près de vingt ans après avoir lu ce roman (qui m’a suivie dans tous mes déménagements, depuis Toulouse à Paris, en passant par Aix-en-Provence, Arles, Londres, revenant à Toulouse puis à Paris), qui reste l’un de mes préférés, pour son style, pour le sujet abordé et par son essence, l’envie de le relire m’a prise et ne m’a plus tenue. Je l’ai dévoré. Il résonne si fort en moi qu’à chaque ligne je m’imagine à la place de la narratrice, je me vois scier du bois, arpenter la forêt, pointer ma carabine sur un chevreuil, contempler mes doigts criblés d’ampoules… Je m’y vois tellement que j’ai presque envie de vivre tel scénario.

Lire du Haushofer

Poétique, profond, spirituel, sensé, désespéré, joyeux, plein de grâce, amoureux de la nature, philosophique… ce récit est tout cela et bien plus encore. Il combine avec aise le descriptif d’une vie réinventée, le labeur quotidien de la narratrice, ses joies, ses peines, ses peurs, ses angoisses, et le questionnement sur la Vie. 

Le point commun entre la narratrice et moi

Toutes deux avons participé au vêlage d’une vache. Aucune de nous deux n’a jamais aimé les montres.

Le Mur invisible, de Marlen Haushofer, traduit de l’allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon, Actes Sud, 1992 (1re édition en allemand, 1968). 

© Virginie Manchado, 2020

2 réflexions au sujet de “« Le Mur invisible » de Marlen Haushofer”

  1. Hello comme d habitude la façon dont tu parles d un livre que tu as aimé  donne umencablement l envie de courir le commande. Merci .bisousEnvoyé depuis mon smartphone Samsung Galaxy.

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